Vingt heures. Elle tourne la clef dans la serrure, pousse la porte et se déchausse dans l'entrée. Il fait meilleur dans la maison, et un soupir d'aise passe ses lèvres alors qu'elle abandonne le jeu dans une coupelle sur le guéridon. Sa veste rejoint le porte manteau et la psychiatre s'étire. Le loft est particulièrement grand et les plafonds hauts de près de trois mètres font résonner un tantinet plus fort les voix provenant du salon un peu plus loin.
Shizuka avance, passant une main dans ses cheveux qu'elle vient de détacher et deux têtes écailleuses se tournent vers elle. Sverak et Tir, de toute évidence très concentrés sur un jeu de société lui adressent tout de même un signe de la patte et elle les rejoint en les saluant à son tour, se penchant sur la table qu'ils ont recouvert.

« Hime n'est pas encore là ? » Demande-t-elle, intriguée de ne pas avoir encore aperçu la jeune femme.
« Elle a prévenu qu'elle rentrerait un peu plus tard ; à cause de l'autre succube là. » Grommelle le dragon noir, faisant aussitôt naître une moue désapprobatrice sur le visage de sa marraine. « Quoi ? J'l'aime pas cette grue aux cheveux jaunes ... »
« On dit blond, pas jaune et ensuite, essaie de la respecter un minimum. C'est tout de même un très bon contact d'Hime alors … fais un effort d'accord ? » Demande la psychiatre, lui accordant une caresse sur le cou.
« Mouais, bah je promets rien hein ! Dis tant que tu es là, tu peux nous expliquer ça là ? »

Étirant ses lèvres d'un demi sourire Shizuka tend la main au dessus du plateau de Monopoly et prend la carte désignée par son dragon. C'est devenu habituel, rentrer et les voir, alors qu'ils tombaient dans le jardin quelques mois plus tôt et voulaient les dévorer toutes crues. Mais les choses ont évolué, un quotidien s'est installé et Shizuka n'est jamais triste ou réticente à revenir chez elle à la fin de sa journée de travail. Aussi étrange que ce soit, ils sont sa famille désormais.

« Alors voyons … » Commence-t-elle. « Allez en prison. Ma foi … c'est explicite non ? »
« Ouais mais jusqu'à quand ? »
« Et bien, soit tu payes pour sortir, soit tu fais un double ou tu utilises une carte « vous êtes libéré » … ça dépend. »
« QUOI ? Mais je veux pas payer ! » S'exclame la créature, regroupant son tas de faux billets sous ses griffes. « C'est tous des voleurs dans ce jeu ! C'est pas honnête ! »
« Alors fais autre chose. » Rit-elle doucement, lui rendant sa carte. « Je vais prendre une douche, ne cassez rien ! Et Cain ? Parti travailler déjà ? »
« Ouais y'a un petit quart d'heure environ … Et c'est ta faute ça Tir, t'as mal mélangé le paquet de cartes j'le savais ! »

Laissant les dragons -et leur mauvaise foi- entre eux, Shizuka s'éclipse à la salle de bain et même avec la porte fermée, elle peut les entendre se chamailler. Mais la demoiselle ne s'inquiète pas, ces deux là s'adorent malgré leurs grands airs. Ils se connaissent depuis très très longtemps selon leurs dires et il faudra plus qu'un pauvre jeu pour briser leur si longue amitié.

« Hé mais y'a PJ ce soir, c'est dans trente minutes ! Faut allumer la Télé ! »

… La jeune femme claque la langue, roule des yeux. Ah pour ça, ils s'entendent même mieux encore. La télévision, que Shizuka ne regardait quasiment jamais à part pour quelques documentaires, est devenue le saint Graal de la maisonnée depuis que les deux Dragons l'ont découverte et plus encore, ont découvert une série américaine -et ses dérivés- basés sur des enquêtes criminelles et le système judiciaire. Et ils suivent, n'en ratant pas une miette si bien que leur entrain a quelque chose de communicatif. Rares sont les soirs où les deux amies ne sont pas invitées -ou forcées- à venir s'installer avec eux pour regarder quelques épisodes.

Sortie de sa douche bien chaude, la psychiatre s'enroule dans une serviette et essuie ses cheveux à l'aide d'une autre. En bas, la porte d'entrée s'ouvre et se ferme, voilà Hime. Parfait, Shizuka est rassurée de la savoir de retour. Autant qu'elle ne traîne pas, il faut faire à dîner et il est évident que les « garçons » n'ont pas encore tenté l'exercice cuisine qui serait trop périlleux avec leurs grosses pattes griffues. Mais alors qu'elle se dirige vers sa chambre dans l'idée de passer une tenue confortable, Shizuka se retourne brusquement et descend les escaliers à toute vitesse en entendant le cri parfaitement accordé des deux Dragons.

« Qu'est-ce qui se passe ? » Questionne-t-elle, perplexe.
« La télé ne fonctionne plus ! » Hurlent-ils avec une sorte de désespoir. « Faut la réparer vite ! »

Shizuka cligne des yeux, soupire et porte son attention sur sa meilleure amie, haussant légèrement ses fines épaules dans un mouvement fataliste de « on y peut rien comme d'habitude ».

« Bonsoir ; alors cette journée ? Tu as fait de beaux clichés pour Eun Sil ? »

C'est juste normal. Shizuka en serviette, les cheveux humides qui prend les choses comme elles viennent, Hime qui a à peine eu le temps d'enlever ses talons et dont les bras sont chargés de book rassemblant ses travaux, et deux Dragons plus bouleversés par la panne de l'appareil que par l'éventualité d'un cataclysme.

Une soirée de plus chez Shizu, Hime & cie … très normale en somme.

Le soleil n'était même pas encore levé lorsque Hime sauta hors du lit et se précipita en courant dans la cuisine. Elle fit griller deux tartines de pain tout en s'habillant et n'aperçut même pas la gigantesque tête écailleuse verte tant elle était occupée à manger ses tartines tout en faisant son sac.

« T'en fais du bruit ! J'arrive même plus à dormir ! »
« Genre... Une bombe exploserait que ça ne te réveillerait pas ! »
« C'est quoi une bombe ? Ça se mange ? »
« Pas vraiment non... »
« Ha c'est comme les grenades alors ? »
« Effectivement oui... Sauf que c'est beaucoup plus gros et que ça fait beaucoup plus de dégâts. »
« Tsss... Moi je fais plus de dégâts qu'une bombe ! » dit le dragon vert en bombant le torse comme un homme l'aurait fait.
« Euh... hors de question de me le prouver, hein ! »

Le dragon vert eut l'air déçu mais il avait bien trop peur de se prendre un livre en pleine mâchoire pour se risquer à prouver à son humaine qu'une bombe ne faisait pas autant de dégât que lui, gigantesque dragon vert plus gros que la normale. Hime continua à courir dans tous les sens sous le regard perplexe de son compagnon à écaille. Tír na nÓg fut bientôt rejoint par Sverak, son cousin noir, qui se posa à côté de lui pour regarder l'étrange manège de Hime. Pourquoi courait-elle donc dans tous les sens ?

« Oh vous deux là ! Au lieu de me regarder vous pourriez m'aider, hein ?! »

Sverak allait lâcher une réplique mordante lorsqu'il croisa le regard de la japonaise et presque aussitôt le souvenir d'un livre de six milles pages le fit s'activer. Tír na nÓg, ne voulant pas être prit pour un paresseux, s'activa lui aussi à la tâche avec beaucoup d'enthousiasme. Les trois individus étaient donc en train de courir partout dans la maison et, sur trois, seulement une savait pourquoi elle le faisait...

« Mais qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? » s'exclama la blonde en regardant les deux dragons tourner en rond avec plus ou moins d'enthousiasme selon la couleur des écailles.
« Bin... on fait ce que tu nous as dit de faire ! » répliqua le noir, un peu vexé de se faire rembarrer de la sorte alors qu'il daignait apporter son aide.
« Mais... euh... vous faites quoi ? »
« On fait comme toi ! » dit d'un air joyeux le dragon vert.
« Hum... Bon je suis pressée alors on va la faire simple : vous pourriez m'aider à trouver mes clefs ? »

Les deux dragons se regardèrent d'un air consterné : c'était donc pour ça qu'elle s'agitait dans tous les sens ! Aussitôt dit aussitôt fait, les deux compagnons à écailles se mirent à chercher un trousseau de clef faisant la moitié de la taille de leur plus petite griffe. Chose étonnante, ce fut Tír na nÓg qui trouva l'objet et, s'en saisissant fièrement, s'exclama :

« Haha ! J'ai trouvé la preuve ! McCoy serait fier de moi ! »

Il faisait référence à la série « Police Judiciaire », soit la seule chose pour laquelle les deux dragons étaient capables de rester immobiles plus de vingt minutes sans grogner.

« Merci Tir' ! Bon je vous laisse, faites pas de bêtises, hein ? Je rentrerais un peu plus tard que d'habitude, je dois prendre des photos de Eun Sil ! »
« Mais mais mais ! Tu seras à l'heure pour Police Judiciaire, hein hein hein ? »
« Oui oui ne t'inquiète pas, Tir' ! »
« Au pire on lui racontera ce qui s'est passé, vieux ! »

Hime partit en courant, laissant les deux dragons se chamailler sur leurs âges et sur l'effet négatif que semblait avoir le mot ''vieux'' sur les écailles de Tír na nÓg. La japonaise courut prendre un taxi qui l'emmena directement devant l'immeuble de l'agence ''Park Mannequinat''. Un sud-coréen attendait devant la porte en se mangeant les ongles.

« Oh vous êtes là ! Eun Sil est furieuse ! »
« Oui bon je fais ce que je peux, hein ! »

Le duo entra précipitamment dans l'immeuble et, prenant l’ascenseur, monta directement au dernier étage. Les portes s'ouvrirent sur une jeune mannequin au bord des larmes et immédiatement Hime entendit la voix, fort peu agréable à cette heure de la mâtiné, de Eun Sil Park. La sud-coréenne lui réserva un accueil aussi chaleureux que l'acide de Sverak était rose bonbon et elles filèrent au troisième étage du bâtiment pour la séance photo. En chemin Hime eut le droit à une leçon particulièrement ennuyante sur la ponctualité, ce à quoi elle répondit que la moindre des politesses aurait été de la prévenir au moins un jour avant pour la date du photo-shoot.

« Vous êtes au courant depuis trois jours ! »
« Ah non pas du tout... depuis ce matin, cinq heures. »
« Comment ça ?! »
« J'ai reçu un texto puis un appel m'informant qu'il fallait que je sois ici à six heures. »
« Je ne sais pas quel est le crétin qui n'a pas fait circuler l'information mais je peux vous assurer qu'il va regretter son manque d'efficacité... »

Ho ça Hime n'en doutait pas : Eun Sil n'était pas réputée pour être une enfant de chœur et elle pouvait renvoyer sans peur puisque certains allaient jusqu'à camper devant l'immeuble pour avoir un emploi dans l'agence.

« Désolée pour ça... »

La japonaise accepta les excuses en hochant la tête : Eun Sil avait beau être insupportable, elle restait sa meilleure cliente et, surtout, elle était absolument géniale à photographier. Et puis chacun son caractère, n'est-ce pas ?
La journée passa à toute vitesse étant donné que Hime dut photographier Eun Sil puis quelques mannequins à elle que la sud-coréenne voulait ''tester''. Il était presque vingt-heures trente lorsque la japonaise posa enfin un pied hors de l'immeuble luxueux de la sud-coréenne. Elle siffla un taxi et rapidement, elle poussa la porte d'entrée du loft qu'elle partageait avec Shizuka et les deux dragons. Elle jeta son trousseau de clefs sur la petite table, enleva son manteau et l'accrocha au porte-manteaux puis enleva ses chaussures en soupirant : elle était épuisée ! C'est donc en trainant les pieds que Hime se dirigea vers la salle principale où les deux créatures étaient déjà attablées devant la télévision. Mais la japonaise n'eut même pas le temps de se poser sur une chaise que, soudainement, la télé s'éteignit. L'effet fut immédiat :

« La télé ne fonctionne plus ! Il faut la réparer, vite ! »
« Je suis photographe, pas mécanicienne ! » répliqua la blonde lorsque les deux dragons tournèrent la tête vers elle.

« Bonsoir ; alors cette journée ? Tu as fait de beaux clichés pour Eun Sil ? »
« Je suis épuisée ! Cette femme m'exploite, c'est pas possible ! Je suis chez elle depuis six heures ce matin... Atroce ! »

La blonde s'affala sur une chaise en étendant ses jambes au maximum. Elle pestait régulièrement sur Eun Sil mais elle ne pouvait pas non plus mentir sur le fait que si la sud-coréenne était aussi connue, c'était bien parce qu'elle avait su gérer son entreprise d'une main de fer. Alors oui la sud-coréenne avait un caractère absolument détestable mais on ne pouvait pas lui reproche de ne pas se battre pour son entreprise. Et puis elle était vraiment douée dans ce qu'elle faisait ! Les photos que Hime faisait d'elle étaient généralement parmi les plus belles prises par la japonaise. Mais il n'empêche que travailler avec elle de six heures du matin à huit heures et demi du soir, c'était particulièrement éprouvant pour les nerfs et ça avait tendance à ronger la patience de la Justice.

« Et toi ? Ça a été aujourd'hui ? »

Une petite odeur de chlore fit tourner la tête de Hime vers son dragon vert qui les fusillait du regard.

« Mais faites quelque chose ! L'heure est grave ! Il faut qu'on sache qui a tué le petit garçon ! Utilise ton pouvoir de mini-machin, Hime ! Ça doit pouvoir marcher ! »

La japonaise ne trouva rien d'autres à dire qu'un :

« T'as vérifié au moins que vous n'aviez tout simplement pas posé vos grosses fesses sur la télécommande ? »

Le plus grand drame du siècle ; la télévision en panne. Les deux dragons se plaignent vivement mais leurs marraines se contentent de les ignorer un peu, se saluant. Hime s'écroule sur une chaise, épuisée c'est logique et Shizuka lui pose une main légère sur l'épaule comme pour la réconforter. Elle ne connaît pas personnellement Eun Sil mais sa réputation de despote en mini jupe est bien connue des tabloïds, au point que certains commentaires la concernant sur les réseaux sociaux ne manquent pas de verve. Enfin, Shizuka a son lot en matière de supérieur particulier …

« Oh, une longue journée en fait. » Commence la psychiatre. « Klandis m'a sonné à six heures pour que je vienne à l'hôpital, une patiente était en plein délire et j'avais établi un bon contact avec elle. Elle m'a réclamé du coup je suis partie sans même déjeuner et quand j'ai pu me poser pour prendre un café, on a dû partir à l'autre bout de la ville pour un avis complémentaire pour les tribunaux où nous sommes restés à plancher sur des dossiers toute l'après midi. Je n'ai fais que courir ... »

Shizuka hausse doucement les épaules, elle a l'habitude maintenant mais pas le temps d'y penser plus car Sverak se racle fortement la gorge pour attirer son attention, lui adressant un regard lourd de reproches. Ha oui, c'est tellement plus important son petit plaisir. Gros égoïste qu'il est parfois va !

« Je vais te sonner aussi si tu veux bien ! On peut pas louper des morceaux sinon on va plus rien comprendre ! Fais quelque chose ! »
« Mais que veux tu que je fasse ? Tu as cherché la télécommande comme a dit Hime ? » Soupire-t-elle, démêlant ses cheveux du bout des ongles.
« Comme si on allait s'étaler dessus franchement ! » Ironise la créature -vexée de cette supposition ridicule- faisant rouler ses yeux vert acide. « Tir, regarde les câbles ça doit pas être bien branché ! »

Levant un sourcil en une expression dubitative, la psychiatre pousse le pas et se penche sur le canapé tandis que les deux dragons sont affairés à observer l'appareil sous chacun de ses angles.

« Shizukaaa ! » Geint le gros vert, manquant de peu de lui enlever sa serviette parce qu'il vient de tirer dessus. « C'est important ! Le petit garçon est mort, ils l'avaient enfermé dans une boite ! »
« J'entends bien oui, et ne me déshabille pas ce serait gentil. »
« Hé ça doit être le réseau ! » Bondit Sverak. « Tir faut appeler le fournisseur d'accès ! »
« Oui ! » S'exclame l'autre, se précipitant sur le téléphone semblant miniature entre ses griffes. « Mais … c'est quoi le numéro ? »
« Ben je sais pas moi ! Cherche ! »
« Toi cherche espèce d'affreux ! »
« Pardon ? Je vais te transformer en chaussures à talons espèce de ... »

Un clic et la neige disparaît de l'écran, faisant aussitôt taire les deux créatures qui envoient à Shizuka un oeil bovin. La jeune femme sourit rapidement et leur jette la télécommande sur laquelle il s'étaient bel et bien appuyés et cale une main sur sa hanche.

« Moralité, quand on cherche on trouve. »
« Merci ! » Lance Tir, allant la gratifier d'un petit coup de tête sur l'épaule avant de retourner devant le poste.
« T'es géniale ! Ah c'est l'autopsie ! »

La japonaise soupire, secouant lentement la tête avant de revenir vers son amie qui n'a même pas quitté son siège. Ils ne sont pas prêts de bouger de là maintenant. Au moins ils vont se tenir tranquille à moins que la télévision leur joue un mauvais tour mais logiquement non.

« Je vais préparer le dîner, va donc te détendre un peu. » Glisse-t-elle à la photographe. « Je garde un oeil sur la sacro-sainte télévision ne t'en fais pas. »

Elles rejoignent donc l'étage ensemble et se séparèrent devant leur chambre respective. De là Shizuka passe des sous vêtement, un débardeur en coton gris et un legging noir avant de nouer ses longs cheveux et de redescendre. La cuisine américaine, et donc grande ouverte lui permet de jeter un oeil sur la télévision et elle s'active à laver puis couper des légumes, appréciant cette ambiance très familiale de leur loft. De temps à autre, les deux dragons avancent une hypothèse, argumentent et on les sent réellement passionnés. Des histoires humaines, des lois, une vue sur le système qui est plutôt bonne à apprendre pour eux, fraîchement de retour sur terre.

« Shizu ! » L'appelle le dragon noir alors que passent les publicités.
« Oui ? »
« On mange quoi ? »
« T'en fais pas j'ai pensé à ta viande. D'ailleurs, le boucher a l'air ravit que tu le débarrasses de ses périmés ... » Elle sort une casserole, la pose sur la gazinière. « Tir du lapin ça te va ? »
« Oh oui ! C'est bon le lapin, fin comme les lutins ! »
« … Si tu le dis. »

Il aura fallut jouer avec les goûts de l'un ou l'autre, s'adapter et il faut dire que les deux filles n'ont jamais été regardantes à ça. Jamais dérangées de faire plusieurs cuisines -puisque Shizuka est végétarienne et non Hime- repenser les menus en incluant les deux créatures n'a pas été si compliqué. Au pire cela prend un peu plus de temps mais c'est secondaire … Tir aime les produits de la chasse mais saura manger uniquement des légumes verts ou des feuillages, restait Sverak dont les préférences étaient un peu plus compliquées puisque sa race a pour coutume de faire pourrir la viande dans une marinade. Shizuka a pris les devants dés qu'elle l'a sut et a fait le tour des magasins, demandant à récupérer les aliments de boucherie logiquement destinés à la benne. Et le dragon noir fait l'effort de ne pas se rassasier de mets à moitié décomposés ; pour ne pas imposer les odeurs qui vont avec. Shizuka lui prépare avec beaucoup d'épices en plus … il est toujours rassasié.

Le temps des publicités, Sverak approche et lorgne sur le repas en cours de préparation. Intrigué, il tend un doigt de sa patte griffues en direction d'un poulet rôtit qu'il ne reste plus qu'à réchauffer.

« C'est quoi ça ? »
« Poulet. »
« C'est … minuscule ! »
« Tir mange du lapin, c'est petit aussi ... » Sourit-elle, faisant sauter sa poêlée.
« Ouais mais les verts aiment pas les gros animaux ; bon sang les tricératops c'était si bon. »
« Ha nan ! C'était super dur comme viande ! Je préfère la chair tendre. »
« Ouais pour tes dents sensibles ? » Se moque le noir, laissant filer un rire tandis qu'il retourne auprès de son vieil ami. « Utilise sensodyne ? »
« J'ai pas les dents sensibles ! C'est mes gencives et je vais te le faire bouffer moi le sensodyne ! »
« Ha ha même pas peur ! »
« Hé ça reprend ! »
« Alors alors ? Il va dire quoi Mc Koy ? »

De loin, Shizuka sourit. C'est fou, elle a eut une si longue journée et pourtant … auprès d'eux, tout semble s'effacer et ne laisser place qu'à une insouciance agréable. Oh non, elle n'échangerait pas sa place, même pour tout l'or du monde.

« Oh, une longue journée en fait. Klandis m'a sonné à six heures pour que je vienne à l'hôpital, une patiente était en plein délire et j'avais établi un bon contact avec elle. Elle m'a réclamé du coup je suis partie sans même déjeuner et quand j'ai pu me poser pour prendre un café, on a dû partir à l'autre bout de la ville pour un avis complémentaire pour les tribunaux où nous sommes restés à plancher sur des dossiers toute l'après midi. Je n'ai fais que courir ... »

Décidément, les deux japonaises avaient eut une journée épuisante ! Hime compatit à la fatigue de son amie en hochant la tête d'un air dépité. Des fois elle avait juste envie de rester allongée dans son lit et d'envoyer paître Eun Sil et toute sa clique ! Rah si seulement cette matrone n'était pas aussi douée en tant que mannequin ! Si la sud-coréenne ressemblait à toutes les autres mannequins, Hime pourrait se permettre de refuser de la photographier mais le problème c'était bien que Eun Sil n'était PAS comme les autres mannequins. Elle était absolument magnifique sur les photos et elle savait exactement comme se positionner pour faire une excellente photo. Eun Sil était très douée et Hime devait avouer que la photographier était un véritable plaisir. Mais dès qu'elle posait l'appareil, Eun Sil redevenait la furie qu'elle était en temps normal et dès lors, ça devenait particulièrement fatiguant. Et puis aujourd'hui Hime avait dû photographier certaines mannequins de la sud-coréenne et le niveau était tellement plus bas que ça en avait été presque pitoyable. Les jeunes mannequins se sentaient tellement mal à l'aise de prendre des photos après une performance aussi spectaculaire de la part de leurs boss et comment pouvaient-elles se concentrer sur leurs photos quand Eun Sil leurs criait « plus de cou », « on dirait que t'es constipée, sourit ! », « pas comme ça, voyons ! ». Hime avait eut pitié d'elles tant elle avait vu qu'elles étaient au bord des larmes. Mais d'un autre côté, elles l'avaient cherché ! Ok c'était synonyme de célébrité que de travailler pour Eun Sil mais est-ce que ça valait la peine de se tuer au travail pour quelques minutes de gloire ? Hime en doutait sérieusement. Ces jeunes filles ou jeunes hommes voulant devenir mannequins à tout prix auraient mieux fait de se tourner vers d'autres agences, certes moins réputées, mais au moins plus humaines. Travailler pour Eun Sil c'était synonyme de gloire, certes, mais aussi de travail à ne plus savoir quoi en faire. Cette femme était une tortionnaire !
Sverak interrompit le flot de pensées de la blonde lorsqu'il se mit à grogner que les humaines devaient s'occuper de leurs problème en priorité. Bon sang ce que les dragons pouvaient être égoïstes par moments ! Ils passaient toute la journée à s'amuser et à se reposer alors qu'elles bossaient jusqu'à en mourir d'épuisement et alors qu'elles rentraient, à la limite de la syncope, eux trouvaient le moyen de les faire travailler encore. Encore pire que Eun Sil, ces deux là ! Lorsque Shizuka répéta ce que Hime avait dit à propos de la télécommande, Tír na nÓg faillit s'étouffer en l'entendant.

« On est pas assez bêtes pour s'asseoir dessus ! »

Hime lui lança un regard qui en disait long et le dragon vert partit fouiller les câbles d'un air hautain. Ceci n'ayant rien apporté sur l'écran, Tír na nÓg se mit à tirer sur la serviette de Shizuka pour lui parler et Hime éclata de rire : la scène était tellement drôle !

« Au lieu de rire tu pourrais nous aider ! On t'as aidé nous ce matin ! »
« Je ris parce que je suis fatiguée et je te rappelle que ce matin vous avez surtout tournés en rond ! »
« Mais j'ai trouvé tes clefs ! »
« Et moi je te le redis : je paris un tour de vaisselle que la télécommande est sous vos fesses ! »

Tír na nÓg la fusilla du regard tout en se disant que c'était tout simplement impossible qu'ils se soient assis sur la télécommande. Si ? Hime éclata d'un rire sonore et joyeux lorsque Shizuka leur prouva qu'ils avaient effectivement posé leurs fesses sur la télécommande.

« Haha prépare-toi à faire la vaisselle ce soir, Tir' ! »
« Mais euh... »
« Chut c'est l'autopsie ! »

Tír na nÓg profita de cette occasion de fuir sa punition pour se replonger dans l'épisode policier avec son compagnon noir. Les deux commencèrent immédiatement à commenter tout ce qui se passait et en l'espace de quelques secondes, Hime sut exactement ce qu'il se passait à l'écran sans même le regarder. Dingue quand même que des dragons soient aussi fanatique de ce genre de série...

« Je vais préparer le dîner, va donc te détendre un peu. Je garde un œil sur la sacro-sainte télévision ne t'en fais pas. »

Hime lui sourit et s'étira avant de se lever de sa chaise.

« Merci, t'es un ange ! Arf j'ai l'impression d'avoir pris soixante ans en une journée... »

Les deux filles montèrent à l'étage pendant que les deux dragons débattaient sur l'éternelle question du ''qui est le coupable''. Hime entra dans sa chambre et se précipita sous la douche avec délice. Elle finit par sortir de l'eau et enfila un pantalon large en tissus et un débardeur noir. Elle entreprit de démêler ses cheveux teint en un joli blond doré puis fini par abandonner pour les laisser attachés en une queue de cheval haute. Ceci fait, la japonaise s'affala sur son lit, prit son ordinateur portable et y brancha son appareil-photo. Elle fit passer les photos sur l'ordinateur puis mit la batterie de l'appareil à charger. Elle entreprit de trier quelques photos qu'elle avait prise pour tester un nouvel objectif et tomba sur celle d'une femme à la peau mâte et au regard sauvage. Cette femme était absolument magnifique ! Et elle dégageait un petit quelque chose mystérieux. Hime l'aurait bien photographiée à nouveau mais c'était une photo ''volée'' dans la rue et il était très peu probable qu'elle recroise cette femme de nouveau. En y repensant, Hime se rappela que la femme en question avait eut une réaction très amusante en voyant passer un camion à côté d'elle. Un drôle de personnage, sûrement. En triant d'autres photos, Hime tomba sur une photo de Sverak regardant d'un air consterné en louchant un hamburger qui faisait la taille de son œil. La photo était à hurler de rire et c'est effectivement ce que fit Hime. Elle sortit hors de sa chambre en courant, l'ordinateur sous le bras et dévala les escaliers à toute vitesse. Shizuka était en train de s'activer dans la cuisine et les deux dragons la regardaient faire lorsque Hime débarqua, essoufflée. Elle mit l'ordinateur devant les yeux de son amie en éclatant de rire. Les deux dragons se tordirent le cou pour voir ce qui était aussi drôle et les réactions ne se firent pas attendre :

« Haha tu ressembles trop à rien dessus Sverak ! »
« Que quoiiii ?! C'est quoi cette photo ?! Comment tu l'as eu ?! Supprime-la ! »
« Non garde-la elle est trop drôle ! »
« Trop drôle ?! J'vais t'faire rire moi ! »
« Haha tu louches ! »
« Attends j'vais t'arranger la vue moi ! »
« Oh ça reprend ! »

Et les deux dragons disparurent de nouveau devant la télé, la dispute oubliée. Hime, elle, continuait à se tordre de rire : fatiguée comme elle l'était, il en fallait peu pour la faire rire. Essuyant des larmes de rire, Hime entreprit d'aider son amie à faire la cuisine. Puis se rappelant une autre photo, elle fouilla dans ses dossiers de photo jusqu'à trouver une photo de Tir absolument hilarante. Le dragon vert tentait de se cacher derrière un arbuste et on voyait également Shizuka le regarder d'un air consterné : inutile de préciser qu'il avait perdu au cache-cache ?

« Ha ça fait du bien d'être de retour à la maison ! »

La japonaise laissa défiler quelques photos des deux dragons et sourit en voyant une où Tir et Sverak complotaient sous l'air sévère de Shizuka. Un autre montrait Tir, complètement sonné, à côté d'un Sverak paniqué : c'était la fois où Hime avait lancé un dictionnaire sur le dragon vert après qu'il ait tenté de mentir sur la disparition d'un lapin dans le frigo.

« On a quand même une chance de dingue d'avoir ces deux dragons avec nous... »

Bien que peu expansive, Shizuka ne parvient pas à retenir quelques éclats de rires à la vue des photos qu'Hime est venue montrer en courant. Quelques peu vexé, Sverak la considère d'un regard sévère mais la télévision se veut plus intéressante que les rires de sa marraine, aussi retourne-t-il près du poste avec Tir, laissant les deux filles en cuisine. Vérifiant rapidement ses casseroles sur le feu, la jeune femme baisse le gaz et vient se pencher sur l'épaule de la photographe -chose aisée compte tenu de leur différence de taille- et ensemble elles voient passer les clichés divers de leur vie avec les deux dragons. Des instants simples de tout les jours. Personne a Yellowknife ne doit avoir autant de moments capturés sur le vif, si réels parce que la japonaise est merveilleusement bien équipée pour ça. Les photos sont belles même les plus cocasses et Shizuka garde un sourire aux lèvres à se remémorer chaque instant.

« C'est vrai qu'on a de la chance. Franchement, avec ce qu'on raconte sur leur race on aurait pu tomber sur bien pire ... Quoi qu'ils ont voulu nous dévorer mais c'est un détail. »

Noir et Vert, des dragons dont les autres disent de se méfier mais ces deux là sont différents. Peut-être parce que justement ils se côtoient depuis longtemps et qu'à force, ils se sont assagis au contact de l'autre, puisant dans le meilleur. Mais Shizuka se doute bien qu'il en faudrait peu pour les rendre agressifs voir même violents, ils ont ça dans le sang et elle n'oubliera pas ce soir du mois dernier où un homme saoul a eu le culot de vouloir la traîner dans un bar. Le malheureux s'en souviendra à vie ; Sverak avait tout bonnement failli le tuer et il avait fallu l'intervention de Shizuka, Hime et Klandis -ameuté par les cris- plus encore les dragons de chacun pour l'arrêter. Oh ce n'était pas pour le fait d'avoir abordé Shizuka, mais bien parce qu'il avait essayé de l'obliger physiquement. Sverak avait ensuite avoué qu'il avait vu rouge … sans expliquer le fond de la chose.

« Oh ça ! Je me souviens on a tellement rit ce soir là. »

Les deux filles avec Cain et Nathan, deux garçons proches et adorables. Les hommes avaient proposé une partie de Poker pour achever la soirée mais la chose était partie en vrille car les dragons n'y comprenaient pas grand chose et au final ils s'étaient envoyés des jetons à la tête, finissant par en éparpiller partout dans le salon. Et parce que -en pleine chamaillerie- ils avaient cassé un vase, ils s'étaient attirés les foudres de la photographe qui les avait poursuivit à coup de livres et d'oreillers. Et les voir tous paniqués devant ce petit bout de femme avait provoqué l'hilarité générale si bien que Shizuka avait tiré quelques photos, incapable de résister à l'envie de garder ce jour sur papier.
Elle en rit doucement encore, et quand Hime s'en va surveiller la cuisson à son tour Shizuka fait glisser son index sur la flèche du clavier pour en voir encore. C'est agréable, plaisant même de repenser à ces six mois passés …

« Tiens, tu me prends en photo au travail maintenant ? » Rit-elle, pas si dérangée.

La psychiatre ne s'est jamais trouvée très photogénique mais Hime lui assure pourtant le contraire. Il faut dire qu'avec sa taille, ses longues jambes et son allure Shizuka pourrait tout avoir d'une mannequin ; sauf l'esprit. Elle n'est tellement pas superficielle. Une photo passe, un soir où Hime l'avait retrouvée à l'hôpital pour faire la route du retour ensemble. Shizuka y porte sa blouse blanche, les cheveux attachés mais elle reste jolie dans cette simplicité. Et elle va pour passer au cliché suivant quand elle suspend son geste. Sur cette même photo, derrière elle près des ascenseurs un visage familier … William Stanton. La psychiatre se souvient l'avoir salué ce fameux soir, quelques mots échangés guère plus, un sourire auquel il avait répondu rapidement. Il ne la croise jamais sans lui parler, même si c'est court … Et la jeune femme soupire lentement.

« Shizu ? T'as vu un fantôme ? » Demande Tir, venu chiper quelques légumes en profitant d'une minute où sa marraine a le dos tourné.
« Hm … non, c'est rien. »
« Oh allons, tu vas pas nous la faire à nous ! » Proteste Sverak, tendant le cou pour voir l'écran. « Ah lui ! Je n'aime pas ce type ! »
« Mais t'aimes personne vieux ... »
« Hey ! Rien à voir, j'le sens pas. »
« William est très correct Sverak, cesse donc de considérer chaque homme qui m'approche comme une menace potentielle. De plus c'est un vétéran de l'armée alors un peu de respect tu veux ? » Souffle la demoiselle, un petit air dépité au visage.
« T'es jaloux en fait hein ? »
« Pas du tout ! Mais … j'sais pas il est bizarre. »
« Oh arrête si tu penses comme ça Shizu va jamais conclure avec lui ! »

Alors qu'elle avale une gorgée de son verre d'eau pétillante, Shizuka s'étrangle tout bonnement avec. Conclure avec qui ? Elle ? En couple ? Non mais ça ne va pas bien dans la tête verte de Tir ? Shizuka est bien la première à protester contre le mariage et les sentiments amoureux, surtout personnellement.

« Ne dis pas de bêtises ! Je ne veux conclure avec personne. »
« Ben ouais mais bon, tu vas pas finir vieille fille si ? »
« Haa Tir ! C'est l'heure du procès. »

Encore évaporés en direction de la télévision. Shizuka tousse doucement et hausse les épaules. Elle n'y peut rien, les histories de cœur la laissent trop froide. Elle n'y voit pas d'intérêt, songe -parce qu'elle le voit assez- que ça ne fini jamais bien et plus encore, elle se voit mal mettre son cœur dans les mains d'une autre personne. William l'intrigue c'est un fait et elle ne peut pas nier qu'il a un certain charme … mais pour le reste, la psychiatre n'est guère défenseur de la grande cause de l'Amour. Et en parlant de ça ...

« Au fait, comment ça va avec Nathan ? » Demande-t-elle à son amie, laissant l'ordinateur pour se remettre à la cuisine. « Vous avez prévu un nouveau voyage ? »

Car c'est devenu fréquent que le jeune homme embarque sa belle Hime à l'aventure. Et à chaque fois la photographe ramène des prises exceptionnelles que Shizuka a toujours hâte de découvrir. Puis si Shizuka se voit mal dans une relation, elle doit bien admettre que Nathan et Hime sont adorables ensemble.

« C'est vrai qu'on a de la chance. Franchement, avec ce qu'on raconte sur leur race on aurait pu tomber sur bien pire ... Quoi qu'ils ont voulu nous dévorer mais c'est un détail. »

Hime hocha énergiquement la tête : les verts et les noirs n'étaient pas réputés pour être des enfants de cœur et même si les deux zigotos avaient voulu les manger, ils étaient tout de même plutôt bien élevés. Les verts étaient réputés pour être de vils menteurs et surtout pour ne pas hésiter à larguer leurs humains s'ils s'ennuyaient trop. Les noirs, eux, avaient la réputation d'être juste dangereux et imbuvables. Bref à côté des dragons rubis qui, s'ils étaient prétentieux, ne laissaient pas tomber leur humain ou à côté des dragons bleus qui n'avaient pour seul défaut d'être hyperactif, les deux races vertes et noires faisaient mauvaise figure. On disait tellement de choses négatives sur elles que certains humains déprimaient lorsqu'ils étaient liés avec un vert. C'était stupide puisque chaque dragon était différent et ce n'était pas parce que son espèce avait mauvaise réputation que le dragon allait être atroce. Chaque dragon avait sa propre personnalité et l'assimiler à sa race était souvent une mauvaise chose à faire. Qui aurait pu dire que Tír na nÓg et Sverak auraient pu être aussi inséparables, hein ? Si on suivait la logique des races, ils auraient dû se supporter mais sûrement pas se fréquenter de la sorte, non ? Et pourtant les deux dragons étaient aussi inséparables que les deux japonaises et ce depuis des centaines d'années, voir plus ! Hime avait toujours détesté les gens qui jugeaient les autres sur l'apparence. Après tout elle-même était le parfait exemple du proverbe disant que les apparences étaient toujours trompeuses. Lorsqu'on voyait Hime, on ne voyait qu'une petite japonaise blonde aux cheveux teints et presque immédiatement on se disait que c'était une fille futile qui ne connaissait rien à la vie et qui ne jurait que par Hello Kitty et toutes les merdes roses bonbons allant avec. Évidemment on avait complètement tord puisque la japonaise était photographe professionnel et qu'elle était excellente dans son domaine. Cette soi-disant gamine qui n'avait rien vu de la vie, avait fait plusieurs fois le tour du monde et parlait plus de sept langues couramment. Alors si ça c'était de la stupidité ou de la futilité, le monde partait vraiment en grand n'importe quoi... Eun Sil Park était pas mal dans le genre ''les apparences sont trompeuses'' parce que lorsqu'on la regardait on se disait qu'elle était magnifique et qu'une jeune fille de 20 ans comme elle allait sans aucun doute percer dans le monde du mannequinat. Ou finir prostituée, au choix. Mais toujours est-il que la sud-coréenne avait 28 ans, un grand nombre de passage sous les bistouris et elle était bel et bien mannequin. Mais surtout, elle était tyrannique et ça n'était pas écrit sur sa gueule d'ange. Et puis Shizuka aussi n'était pas le genre de personne dont on pouvait se fier à l'apparence ! La japonaise avait un corps de mannequin et pourtant dans sa tête, elle en était très loin. Alors oui, Hime ne croyait pas à toutes ces rumeurs sur la sois-disant dangerosité des dragons verts et noirs et elle en avait devant elle, enfin devant la télé, la preuve évidente.
Bon bien sûr il ne fallait pas non plus s'imaginer que les deux dragons étaient des bisounours jetant des fleurs partout où ils passaient, hein ! C'étaient quand même des dragons ayant vécu à l'époque des dinosaures alors forcément, ils n'étaient pas prêt de jouer au golf pacifiquement mais bon... Hime se rappelait encore la fois où Sverak s'était attaqué à un mec qui avait eu la mauvaise idée de tenter de forcer Shizuka à le suivre. Si Hime n'avait pas eut une notion aussi forte de la Justice, elle aurait sans doute laisser le pauvre abruti se prendre de l'acide en pleine face mais la blonde aimait la Justice et ça n'aurait pas été juste du tout de le laisser crever sans rien faire. Elle avait donc envoyé Tir à l'attaque et il avait fallu au moins deux énormes dragons et trois humains pour éviter que Sverak ne commette un meurtre. Les deux filles n'avaient jamais vraiment su pourquoi il s'était énervé de la sorte et quand Hime avait essayé de tirer les vers du nez de Tír na nÓg, elle n'avait pas réussi à lui arracher quoi que ce soit, sauf peut-être le poulet qu'il avait tenté de dissimuler entre ses griffes.

« Oh ça ! Je me souviens on a tellement rit ce soir là. »

Hime regarda plus attentivement la photo et se rappela presque immédiatement de la scène. C'était ça qu'elle adorait avec les photos: le simple fait de les voir permettait à des dizaines de souvenirs de remonter à la surface et combien même on oubliait des choses, on prenait toujours plaisir à revoir les photos des années après. Ce soir-là, donc Shizuka et Hime avaient invité Nathan et Caïn pour jouer au poker. Ils avaient sans doute mis la barre trop haut pour les deux abrutis à écailles puisqu'au bout de quelques minutes à peine, les deux dragons s'étaient lancés les jetons en pleine figure. Ça avait fini, comme d'habitude, en bousculade et en menaces à ne pas prendre au sérieux mais cette fois-là, ils avaient renversé un vase et ça, Hime n'était pas prête à le laisser passer. Elle leurs avait lancé des oreillers dessus et lorsqu'il n'y en avait plus eu à porté de bras, elle avait lancé des dictionnaires et Tír na nÓg et Sverak s'étaient pris respectivement la Constitution Française et l'histoire de la Photographie. En y repensant, la phobie pour la photo de Sverak venait peut-être de là... Les autres s'étaient contenté de se moquer et c'était Shizuka qui avait pris les photos pendant que Hime était en train de traumatiser les deux énormes mastodontes à écailles.

« Tiens, tu me prends en photo au travail maintenant ? »

Hime s'approcha avec une poêle vide où elle s'apprêtait à faire revenir des restes de riz de la veille. La photo montrait Shizuka à la sortie du travail et la blonde sourit en voyant le regard de son amie fixé sur l'homme qu'on voyait en arrière-plan.

« Bin je voulais tester mon nouvel objectif et puis j'en avais marre de faire des photos de Tir' ! »
« Ah bah merci ! »
« Tiens c'est fini la télé ? »
« C'est la pub', espèce d'ingrate ! »
« Ingrate ?! »
« Je te fais l'honneur de poser pour toi et toi tu me remercies comment ? En disant que je suis lassant ! »
« Ouais bah excuse-moi mais j'ai déjà un million de photos de Tír na nÓg le grand chasseur, Tír na nÓg regardant l'horizon d'un air conquérant, Tír na nÓg défendant la veuve et l'orphelin, etc... J'pourrais faire une série d'illustrations de livre avec tes photos bidons ! »
« Bidons ? Non mais oh la blondinette... »

Trop occupé à être vexé, le dragon vert ne fit pas attention au chlore qui s'échappait de sa bouche et ne comprit donc pas immédiatement pourquoi sa marraine lui lançait une poêle en pleine face. L’ustensile toucha le dragon entre les deux et la créature se releva, furieux et surtout honteux : un dragon se prenant une poêle c'était quand même pitoyable...

« Non mais ça va pas ?! Humaine dingue ! »
« Tu crachais du chlore prêt du gaz ! Tu veux nous faire exploser ou quoi ?! »
« C'était pas une raison pour me lancer une poêle dessus ! »
« J'avais rien d'autre sous la main ! Et puis te plains pas, elle était froide ! »

Le dragon prit la position du dragon-boudant puisqu'il haussa la tête d'un air dédaigneux.

« Tu me rends la poêle ? »

Le vert manqua de s'étouffer d'indignation mais le regard de la japonaise le dissuada et il saisit la poêle entre ses pattes pour la donner à Hime. Pour se faire pardonner, la blonde lui tendit des légumes que le vert s'empressa de gober sous le regard blasé de son compagnon à écailles noires.

« Soumis va ! »
« Soumis toi-même ! »
« Quoiiiii ? »

Les dragons s'apprêtaient à se disputer, encore une fois, lorsqu'ils virent le signe de la main de Hime indiquant Shizuka. Ni une ni deux, les deux écailleux se précipitèrent pour voir ce qui retenait l'attention de la brune aussi longtemps. C'était rare qu'elle ne les regarde pas se disputer ! Enfin non mais dans leur esprits étriqués, c'était rarissime. S'ensuivit la discussion quand à l'homme à l'arrière-plan de la photo et Sverak dit qu'il ne le sentait pas, ce à quoi le vert répondit très justement que de toute façon Sverak n'aimait personne. Lorsque le vert parla de la relation de Shizuka avec l'homme, la brune manqua de s'étouffer et de recracher toute l'eau qu'elle venait d'avaler, sous l'air amusé de Hime. Les deux dragons la charrièrent jusqu'à ce que la série reprennent et à ce moment-là, ils disparurent, laissant les deux humaines seules.

« Moi je trouve que vous allez bien ensemble... » puis voyant le regard de son amie « enfin j'dis ça, j'dis rien hein ! »

Et la blonde retourna en ricanant à ses poêles et légumes. Elle entendit les deux dragons commenter le procès à coup de « mais mange-le ! », « c'est un menteur ! », « ouais ! À mort le barbu ! » et Hime se fit la réflexion qu'une Justice de dragon pourrait se révéler être très problématique si on ne faisait pas quelque chose...

« Au fait, comment ça va avec Nathan ? Vous avez prévu un nouveau voyage ? »

Hime se retourna en souriant.

« Il m'a proposé d'aller dans les îles Gualapagos et d'aller faire un tour au Zimbabwe ! Ça va être génial ! »
« On va où ? »
« Vous, vous restez là ! »
« Ingrate ! »
« Oh vous allez pas recommencer ! D'ailleurs j'suis sûre que c'est le blond le tueur ! »
« Gnéééé ?! » firent les deux dragons en se replongeant dans la série avec d'autant plus d'attention que généralement, Hime ne se trompait pas.

Nathan c'était l'homme avait lequel elle sortait plus ou moins. Pour dire vrai ils se tournaient autour et agissaient comme un couple sans pour autant avoir osé faire le premier pas. Hime aimait vraiment la bonté et la générosité de Nathan et elle adorait lorsqu'il lui proposait de partir en voyage. A chaque fois elle découvrait des lieux nouveaux, des expériences jusqu'alors inconnues et c'était toujours tellement agréable de voyager avec le brun... Elle prenait toujours des kilomètres de photos et en rentrant, Caïn, Shizuka, Nathan et elle se faisaient toujours une soirée photos pendant lesquels Hime pouvait voir avec plaisir son amie avec des étoiles dans les yeux. Plusieurs fois elle avait noté sur un carnet des lieux qu'elle avait trouvé exceptionnels et dont elle pensait qu'ils pourraient plaire à son amie. Elle avait fait une liste qu'elle rallongeait au fur et à mesure et le jour de l'anniversaire de Shizuka, elle l'emmènerait en voyage. Elles partiraient à dos de dragon et elles feraient tout ce que Hime avait noté sur son carnet. Pour dire vrai la blonde en avait déjà parlé au supérieur de Shizuka et il avait promis de garder le secret. Elle n'en avait évidemment pas parlé aux deux dragons puisqu'ils étaient assez bêtes pour se trahir sans le vouloir. Elle ne leur en parlerait qu'au dernier moment et s'ils refusaient, la Constitution Française allait pouvoir resservir...
Un bruit de téléphone sortit la blonde de ses pensées et elle regarda Shizuka en haussant les épaules :

« Je plaide non coupable, c'pas les miens ! »

Oui elle avait deux portables : un pour le boulot et un autre pour elle. Pour dire vrai ce n'était pas vraiment pratique mais le seul point positif c'était que lorsqu'elle partait en vacances, elle pouvait complètement couper le portable du boulot sans pour autant avoir besoin de couper celui de la vie ordinaire.

La poile volante a au moins eu le mérite de surprendre Shizuka. Car oui, le jeune femme est certainement la plus proche incarnation du calme dans la maison. Si de prime abord on pense Hime mignonne et discrète il n'en est rien et c'est même logique. Cette petite japonaise a eu besoin de s'imposer dans le monde et elle n'hésite pas à en venir aux mains peu importe qui se trouve en face. La preuve étant, Tir et Sverak la respectent et craignent particulièrement ses jetés de livres toujours très précis bizarrement … Dans le cas de Shizuka, un seul regard suffit à faire comprendre ses humeurs et elle n'a généralement qu'un soupir à laisser passer pour faire taire les deux mastodontes. Les deux amies sont très opposées quand on y pense mais leur amitié n'en est que plus belle car elles compensent l'une et l'autre leurs quelques faiblesses. Shizuka sait aborder Hime avec délicatesse et sérénité lorsque celle-ci a les nerfs à vif, qu'elle n'en peut plus et craque tandis qu'à l'inverse lorsque la brune se renferme et s'isole, le sourire et la joie lumineuse de la photographe sont motivants. Ensemble elles forment un duo dynamique et efficace et on ne doute pas que si elles avaient eut à gérer une entreprise ensemble, tout ce serait bien passé.

« Joli lancé ; tout de même. » Dit-elle avec un petit sourire en coin.
« Ha tu vas pas soutenir ça hein ! » S'indigne la créature verte.

La psychiatre roule des yeux et secoue la tête, trop peu dépitée, trop habituée déjà. Et la voilà absorbée dans sa réflexion concernant Stanton … Franchement ça ne lui ressemble pas. Mais il l'intrigue ; peut-être parce qu'il est assez charismatique, un peu sombre le vétéran de guerre et quand dans ses yeux de glace elle voit les failles. Comme chez toute personne qu'elle croise Shizuka perce à jour et met des mots sur les sentiments les plus enfouis de chacun, comprend sans réellement chercher. Une évidence comme un tableau noir qui se recouvrirait d'écriture par lui même. La jeune femme sent les gens et les connaît parfois mieux qu'eux même. Dans son travail c'est un atout, dans sa vie de tout les jours c'est parfois pesant. Comme avec lui, à qui elle a adressé un sourire sans y penser et qu'elle a semble-t-il attiré sur le champ. Elle le sent blessé, le sait démoli par cette vie de guerres et d'entraînements ; un homme n'ayant jamais trouvé de repos réel et malgré elle elle veut l'aider. Tendre la main sans penser à autre chose, simplement mais lui que pense-t-il en fait ? Il n'aimerait peut-être pas qu'elle « voit » tant de choses.
Hime avance qu'ils vont bien ensemble et Shizuka lui adresse une regard aussi calme qu'il est dubitatif. Car son amie la connaît bien et sait très certainement que jamais Shizuka n'envisagera d'elle même une histoire de cœur. Elle ne sait pas le faire … c'est trop loin d'elle. Mais la blonde la taquine ; c'est évident.

« Je ne mentirai pas cela étant ; il a un certain charme. Même si ce genre de relation ne m'attire pas je lui souhaite de trouver quelqu'un de gentil. Il le mérite. »

Plus loin les deux Dragons pestent et « ordonnent » aux policiers de manger le suspect. Hm ce n'est pas si facile … La justice vue par les créatures à écailles est tout de même des plus expéditive dans son genre et Shizuka jette un œil à la télévision de temps à autre tandis que son amie lui parle de son voyage prochain. Aucun problème à suivre deux ou trois actions dans le même moment, Shizuka est du genre multi tâches.

« Encore de beaux paysages en perspective ! Tu vas faire chauffer ton appareil je sens. » Rit-elle légèrement.
« Mais pourquoi on peut pas y aller ? » Interroge Sverak.
« Parce que Nathan et Hime y vont en couple. Il faut respecter leur intimité. »
« C'est nuuuul ! » Se lamente Tir, le nez levé d'un air dédaigneux. « Je suis plus intéressant que Nathan. »
« Mais oui mais oui ... »

La photographe coupe court, annonçant ce qu'elle pense être le meurtrier et Shizuka approuve d'un hochement de tête alors que les deux bêtes s'en retournent prestement devant le poste. Laissant l'ordinateur Shizuka en revient à la cuisson de ses plats, songeant à la soirée qu'ils feront au retour des amoureux. Ensemble ils regarderont les magnifiques clichés d'Hime, elle racontera ses souvenirs et Shizuka sait déjà qu'elle appréciera. Elle ne voyage plus depuis son arrivée à Yellowknife mais ne s'en plaint pas. Au fond, elle a assez couru dans le monde à suivre ses parents mais la psychiatre pense un jour choisir sa destination, aller découvrir ou même retrouver un lieu qu'elle a aimé. L'Amérique latine par exemple. Le Brésil et le Mexique. Les gorges du Diable dont elle garde précieusement les images en tête. L'Amazonie d'un vert émeraude, les lagons bleu-vert des îles … les lieux relativement vierges ou encore ancrés dans des traditions … loin de la vie stressantes des mégalopoles. Oui, elle aimerait revoir ça.

Téléphone ... La brune lève un sourcil et croise le regard de la photographe qui lui assure que ce ne sont pas les siens. Et ce n'est pas non plus celui de Shizuka. Celui de la maison alors … mais il sonne tellement rarement que la jeune femme en avait presque oublié la sonnerie. Elle s'essuie alors les mains et va récupérer l'appareil un peu plus loin. Décrochant, elle revient à sa cuisine et cale le téléphone entre sa joue et son épaule avant de rouler des yeux … ses parents. Son père plus exactement. Cela doit faire six mois qu'elle n'a pas entendu sa voix.

« Je vais bien. Et vous ? » Demande-t-elle sans réel intérêt. Mais alors que l'homme lui répond, la psychiatre arrête le mouvement de sa cuillère dans la casserole et cligne deux fois des yeux. « Quoi ? » Une phrase encore, deux. « Hm … d'accord. Au revoir. »

Durée de la conversation, moins de deux minutes et la japonaise fixe le téléphone d'un œil perplexe avant de le poser à sa droite pour continuer ses préparations. Alors celle là …

« Mes parents divorcent. »
« C'est quoi ça divorce ? » Demande le dragon noir, assez intrigué pour approcher du plan de travail.
« C'est quand tu romps un mariage … que tu ne veux plus vivre ensemble. Enfin, dans les grandes lignes du moins. Après ça passe par un avocat et des procédures judiciaires. »
« … Faut appeler MC Koy tout de suite ! »
« Ouais il va aider tes parents à ne plus divorcer et sauver leur couple ! » Surenchérit le vert, très impliqué.
« Hmm je ne crois pas non. Mais c'est bizarre ... » Soupire-t-elle, arrêtant le gaz pour préparer les assiettes. « Ce n'était pas le couple de l'année mais ils s'entendaient bien. Enfin, mon père n'est pas du genre bavard sur le sujet. Il m'a dit je cite : tu verras avec ta mère si elle a encore des affaires à toi. J'en déduis qu'il quitte la maison et qu'ils veulent la vendre ... »
« Les humains sont bizarres quand même. »
« Ah ? Vraiment ? »
« Bah nous on se lâche pas si facilement quand on est ensemble ; bon sauf les blancs mais c'est pas pareil eux ils aiment forniquer alors les grandes histoires c'est pas pour eux. »
« Hey Sverak … tu réalises qu'on a jamais vécu avec une femelle ? »
« ... » Le noir ouvre de gros yeux et grogne finalement. « Ouais ben ça veut pas dire qu'elles veulent pas de nous hein ! »
« Ouais ! C'est juste qu'elles savent pas qu'on existe. Ou qu'elles savent pas ce qu'elles ratent ! »
« Exactement ... »
« … Bon on retourne regarder ? »

Un moment de flottement où les deux créatures s'en retournent silencieusement devant la télévision. Et là, sans comprendre pourquoi Shizuka éclate de rire. C'est nerveux sans doute et elle n'y peut rien. Elle tellement loin des grandes émotions ne parvient pas à s'empêcher de rire devant cet étalage de fierté mal placée. Sérieusement ; il n'y a que dans cette maison que tant de choses peuvent se produire en une seule soirée.